LES PINISI DE TANA BERU (SULAWESI SUD)



Tana Beru est situé à 176 kms de Makassar, la capitale de la province de Sulawesi sud. C’est là que l’on construit les célèbres bateaux bugis pinisi, selon des techniques ancestrales. C’est à bord de ces splendides embarcations, que les Bugis, navigateurs intrépides, ont sillonné les mers au cours des siècles. Ils transportaient ainsi les marchandises et denrées produites dans l’Archipel jusque vers les cotes d’Afrique ou d’Australie…
Leur construction exige à la fois un savoir-faire transmis par la tradition orale et recourt également à des pratiques magiques destinées à garantir la solidité du bateau et la sécurité de la navigation.

Les origines mythiques des pinisi
Selon le manuscrit sacré des Bugis, La Galigo, la construction des pinisi remonterait au XIVe siècle. La Galigo relate la saga de Sawerigading, prince héritier du royaume de Luwu. Apres des années d’errance, Sawerigading, rentré au pays, vit sa sœur jumelle Watenri Abeng et s’éprit d’elle. Ceci provoqua la colère de son père, le roi de Luwu. Pour consoler Sawerigading et le détourner de cet amour interdit, Watenri Abeng lui demanda d‘aller en Chine où il trouverait une princesse qui lui ressemblait, We Cudai. Le prince dut faire construire un navire assez solide pour effectuer cette longue traversée. Il lui fallait abattre le bois d’un arbre sacré, welengreng ou dewata qui ne poussait que dans la région de Mangkutu. Sawerigading du demander a son aïeul, La Toge Langi (Batara Guru) de célébrer une cérémonie pour chasser le génie de l‘arbre sacré et pouvoir l’abattre. Puis Batara Guru fit construire ce navire au centre de la Terre. Sawerigading pu partir pour la Chine ou il épousa la princesse, et jura de ne pas retourner à Luwu. Bien plus tard, pris du mal du pays, il revint vers Luwu, mais il fut pris dans la tempête et son bateau se brisa. Les morceaux se dispersèrent dans plusieurs endroits, la moitié de la coque s‘échoua sur la plage d’Ara, les cordes et les voiles à Tanjung Bira, et la quille à Lemo-Lemo.
Les habitants reconstruisirent alors le navire. D’où leur réputation d’excellents constructeurs de bateaux : les habitants d‘Ara sont experts dans la construction de la coque et le maniement du singkolo (outil servant à resserrer les plaques de fer), les habitants de Lemo-Lemo sont doués pour les finitions, et ceux de Tanjung Bira sont d’excellents marins et constituent la majorité des équipages des pinisi.

L’origine historique
Depuis la nuit des temps, les mers de l’archipel ont été des voies naturelles de migration, de communication et de commerce. Ce sont la navigation et le commerce qui ont unifié les nombreux peuples du monde malais. D’après les sources chinoises, arabes et européennes les plus anciennes, le bateau typique de l’archipel était alors le layar tanjaq, a voiles rectangulaires qui figure déjà sur les bas-reliefs du temple de Borobudur. Le padewakan, de Sulawesi sud, était employé pour les voyages commerciaux et la pêche jusqu’au début du XXe siècle, et également utilisé par les guerriers Mandar, Makassar et Bugis.
Le concept de pinisi est en fait assez recent, et ne date que du XIXe siècle ! Il s’agit d’un vaisseau hybride combinant les caractéristiques des bateaux anciens locaux et des navires européens…Le premier pinisi aurait d’ailleurs été construit vers 1840 par un Français à Trengganu en Malaisie, à la demande du sultan Baginda Omar. D’ailleurs le terme pinisi viendrait du mot français « pinasse » qui désignait un bateau de taille moyenne.
Le premier pinisi de Sulawesi fut construit vers 1900 pour un capitaine de Bira par les gens d’Ara. Au début les pinisi étaient des navires marchands a part entière. Le capitaine disposait d’une petite cabine et l’équipage dormait sur le pont. En réalité, les constructeurs de bateaux ne sont pas d’ethnie bugis, comme on le croit en général par erreur mais de l’ethnie Konjo de la région de Bira…. !!! Nombre d’entre eux ont d’ailleurs essaime a Kalimantan (Bornéo) ou ils trouvent évidemment du bois en quantité suffisante.
Dans les années 70, plusieurs milliers de pinisi formaient la plus grande flotte marchande du monde !

La construction des pinisi (egalement appeles : lambo, calabai, jarangka, soppe‘ ou pajala).
La construction du pinisi se fait dans un chantier rudimentaire bantilang. Le chantier est dirigé par un punggawa (le chef de chantier) et une équipe d’ouvriers spécialisés appelés sawi, au nombre de plusieurs dizaines.
Les constructeurs de bateaux de Tana Beru croient que leur société est un microcosme, reflet de l‘univers (macrocosme). L‘harmonie des deux mondes doit être préservé dans toutes les activités de la vie, y compris pour la construction des bateaux traditionnels : c’est pourquoi ils ne conservent leurs méthodes de construction séculaire. Par ailleurs de nombreux rites ponctuent les différentes étapes de la construction. Celle-ci est conçue comme la naissance d‘un enfant. C’est particulièrement évident au cours du rite d’anatra kalebiseang, le débitage de la quille. Il symbolise l’union entre un mâle et une femelle qui donne naissance à l‘embryon du bateau, et qui ensuite devient le « futur bateau ». Le rite de pamossi destine à déterminer le centre du bateau‘ représente la naissance de l‘enfant ou la mise à l‘eau du bateau à la mer. Dans ce cas le punggawa joue le rôle de la mère. Le bateau ne sera pas mis à flot sans sa permission, Sinon il risquera de ne pas bouger et de se briser en mer par la suite, selon la croyance locale.

1/ recherche du bois et abattage :
Le bois à utiliser provient de l’arbre welengreng ou dewata, très dur et étanche. Pour l’abattage, on doit choisir un jour faste dans le calendrier traditionnel, en général au 5eme ou au 7eme jour du mois de la construction. Selon la croyance locale, les arbres sont habités par des génies, et il faut procéder au sacrifice d’un coq pour demander au génie de sortir de l’arbre. On abat ensuite celui-ci et on le ramène au chantier.
2/ Assèchement et débitage du bois :
À l‘arrivée au bantilang, l‘équipe fait sécher le bois. Puis on doit procéder à une autre cérémonie avant de le couper : on pose le bois qui constituera la quille orienté vers le nord-est, symbolisant le principe male, l’autre extrémité, orientée au sud-ouest représente le principe femelle. On grave ensuite une formule magique sur le bois, accompagnée d’une prière, destinée à rendre le bois solide et résistant.
On doit scier le bois en suivant les veines d’un bout à l’autre. Le premier coup est donné à l’extrémité male, et le morceau sera jeté à la mer : il symbolise le rôle du mari qui part sillonner les mers pour gagner sa vie. Le morceau à l’autre extrémité, sera conservé car il symbolise l’épouse qui reste au foyer.
3/ Assemblage :
Une fois le tronc de l‘arbre débité à la scie, les menuisiers façonnent les différentes parties du bateau : la quille, les bordages, les mats, etc. Une fois la quille terminée, on fait également une petite cérémonie (kalebiseang) avant de monter le soting, plaque de bois servant à resserrer la quille, puis d’assembler cent vingt-six bordages de différentes tailles. Les petits bordages sont posés en bas et les grands en haut. On effectue également un rite dit anjerreki, destiné à renforcer la quille. Puis on assemble la poupe et le safran.
Il s’agit ensuite, de calfater avec une sorte de mastic traditionnel appelé majun, tiré de l’écorce de l’arbre barruk. On enduit ensuite les bordages avec une pate à base de chaux et d’huile de coco, appelée allepa, qui doit être mélangée par six personnes pendant douze heures…Pour enduire un bateau de cent tonneaux, il faut préparer vingt kilos de mastic. Enfin la coque enduite est poncée avec de l‘écorce de papayer.
4/ Gréement :
Après avoir fini la coque, on grée le bateau ; celui-ci comporte deux voiles principales (sombala). La voile avant d’une superficie de 200 m2 est hissée au mat de misaine. L‘autre voile, d’une superficie de 125 m2, est hissée au mat d‘artimon. Les voiles principales sont couplées avec un tanpasere, petite voile triangulaire orientée vers la poupe. À la proue, le pinisi est muni de trois focs triangulaires entre le mat de beaupré et le mat de misaine. On n‘assemble que des voiles quand le bateau est à flot.
5/ Mise à flot :
Avant la mise à flot, le punggawa doit faire une dernière cérémonie pour purifier le bateau, appelée maccera lopi. Si le tonnage du bateau est inferieur à 100 tonnes, il sacrifie une chèvre, s’il est supérieur à 100 tonnes, un bœuf, tout en prononçant une prière. Puis on met le navire à flot. Le processus dure près de trois jours, et les voiles sont gréées tout à la fin.